Ce pavillon des bords de Marne, à Bry-sur-Marne, de prime abord propret, devient, dès lors que les premiers pas sont faits dans le vaste jardin, «Le Collectif»; Nous serons quatre jeunes hommes à y vivre: José et San José, deux brésiliens, chassés de leur pays par un coup d’état dont la répression militaire affichée causera la naissance de ce mouvement culturel, contestataire et populaire que fut le «Tropicalisme»: José, promis à un bel avenir de footballeur professionnel et San José, percussionniste fantasque, comme il en existe des milliers au Brésil, vont apporter au collectif une bonhomie sensuelle dont nous allons nous nourrir avec avidité; «Nous», c’est Philippe, mon pote d’alors, qui bosse déjà dans l’administration – Sécurité Sociale – et moi, donc, étudiant en musicologie à Vincennes, devenu Paris 8 aujourd’hui en Seine Saint Denis. Pour subvenir aux charges locatives, je travaille à mi-temps chez mon père, diffuseur de presse pour Le Monde et France soir.

          Ah ! Il en passait du monde dans ce «collectif»…

          Tout d’abord, «Mickey», surveillant médical à «Maison Blanche», hôpital psychiatrique de Neuilly-sur-Marne. Lui, il vivait au fond du jardin, ayant retapé l’ancienne remise; Il ne faisait qu’y dormir, se mêlant avec fougue à toutes nos discussions, qu’elles soient musicales, politiques, sociales…bref, un interlocuteur «résident» de plus! C’est un excellent pianiste qui va d’ailleurs me racheter mon clavier de l’époque, un «Farfisa» de la première heure. Nana Vasconcelos et Mino Cinelu, deux des percussionnistes les plus prolixes de ces trente dernières années, passaient régulièrement répéter dans ma chambre ! L’occasion alors de gigantesques «jam session» lesquelles, au gré des joints fumés, ressemblaient plus à une «Descarga» qu’à une répétition!

          Le dénommé Thieu, Mathieu de son prénom, était un exalté «Trostkar» dans toute sa splendeur! Il passait ses journées à nous interpeller sur ce monde pourri où seul le profit guiderait les sens et le choix de vie de tout un chacun, prônant une révolution immédiate; Je lui dois, en dehors du fait de nous avoir beaucoup «gonflés», une prise de conscience politique qui ne c’est jamais éloignée de mes considérations existentielles actuelles. Et puis l’inénarrable et immarcescible Gilou, ermite révolutionnaire, jamais avare de grandes joutes orales avec ce tribun de Thieu…de grands moments!

          Les filles aussi, Fabienne, Lolo – ah, Lolo…mais j’y reviendrai plus tard! – Marie-Pierre, Juliette, Catherine…j’en oublie; Jeunes filles merveilleuses, nous soutenant sans réserve certes, mais animées d’une sororité sans failles, toujours prêtes à en découdre si, de notre part, des prises de positions paraissaient machistes! Et pourtant, quand j’y repense, nous avions l’impression, nous les mecs, d’échapper à ces vieux démons remontant à l’âge de pierre. Le poids de l’éducation était bien là, et se faire reprendre de volée dès que l’un de nous dépassait les bornes fut salvateur et reste un magnifique souvenir !

          La grande insouciance mêlée aux (in)certitudes politico-sociales ont fait de cette période, de 18 mois environs, un deuxième modèle d’éducation basé sur le partage, l’écoute de l’autre, le respect des différences. En un mot l’apprentissage de la tolérance, à l’opposé de l’éducation reçue, judéo-chrétienne et néo-bourgeoise, que nos parents respectifs souhaitaient nous inculquer.

          J’avais réussi à intégrer l’université «Paris 8» de Vincennes en musicologie. Cette expérience universitaire, qui dura deux ans, fut très enrichissante. Cette université était unique dans son mode de fonctionnement puisqu’elle permettait à toutes et à tous de pouvoir étudier; On y trouvait des ouvriers, des fonctionnaires, des professions libérales en mal d’études, préparant un diplôme…! Pour ma part, je souhaitais devenir Musicothérapeute, toute jeune discipline médicale qui laissait entrevoir, grâce à la musique, une issue à l’autisme, ces enfants pris dans cette terrible spirale du vivre diffèrent…(!?) Freud en dresse les contours dans certains de ses ouvrages et pour ma part, savoir que les différentes réactions aux genres musicaux que ces enfants autistes écoutaient me paraissaient une thérapie merveilleuse et tellement évidente; Écouter du Chopin ou du Led Zeppelin ne procurent sûrement pas les mêmes sensations et de là, les enseignements tirés pouvaient sûrement donner à ces Musicothérapeutes certaines clés …

          A «Paris 8 Vincennes», Les assemblées générales étaient légions. Pour un oui ou pour un non, le cri de «Assemblée générale!» retentissait et rassemblait immédiatement l’ensemble des étudiants concernés, stoppant toutes velléités à poursuivre les cours!  Je dus me rendre à l’évidence, le chemin serait beaucoup trop parsemé d’embûches pour arriver à l’issue de ce cycle universitaire; Il fallait en effet compter sept ans d’études pour espérer pouvoir pratiquer cette discipline avec un premier obstacle qui paraissait rédhibitoire, pour moi en tout cas. Après la licence obtenue au bout de deux ans, une année en médecine était obligatoire… beaucoup trop complexe pour mon cortex un peu à l’étroit dans cette aventure-là!

          Exit Paris Vincennes, la décision était prise: je travaillerai avec mon père dans sa société de diffuseur de presse, la C.P.F, et ainsi deviendrai le «fils du patron » … mais pour un temps seulement…A suivre